Le mot romantisme résonne aujourd’hui dans nos oreilles comme une mélodie latino sirupeuse et nous renvoie à toute une « industrie » du divertissement ciblée à l’intention d’un public de midinettes censé s’adonner aux sentiments à l’eau de rose. Avant d’envahir notre monde connecté en s’universalisant (cf. le romantisme chinois ou indien dans les superproductions cinématographiques), l’idée romantique a fait de nombreux allers/retours en Europe où elle a vu le jour.
Le mouvement dénommé Romantic nous vient d’Angleterre dès le milieu du XVII s, où il fait référence aux romans du Moyen âge (récits en langue « Romane », souvent en vers qui se distinguaient des écrits en latin). Ce « genre Romantique » se caractérisait par des sujets touchant au gothique d’un côté et au romanesque de l’autre (entendre par là au fantastique, au merveilleux, au fabuleux).
Quand l’adjectif arrive en Allemagne, « Romantisch » prend une connotation péjorative et désigne un intérêt à semer dans les âmes le goût dangereux des chimères. Puis il évolue et prend la signification de « comme dans un tableau », comme si la nature, dans l’expérience romantique, ne pouvait être perçue qu’à travers le prisme de l’art.
Il revient ensuite en France en s’opposant au siècle des lumières : Jean Jacques Rousseau l’utilise pour construire son mythe de la nature et introduire le concept de génie artistique, irrationnel, créatif, loin de la raison, libre de tous codes, privilégiant le subjectif, l’intuition, l’irrationnel et l’imaginaire, le désordre et l’exaltation, la couleur et la touche et surtout les passions. Rousseau affirme alors une nouvelle conception de l’art, comme liberté absolue rejetant règles et traditions et imposant son propre langage.
Les artistes romantiques rejettent alors le classicisme et tout ce qui est antique pour aller vers le paysage intérieur et la nature infinie, l’irrationnel et la stupeur, le rêve, l’attrait pour Eros et Thanatos. Le mouvement s’étend à toute l’Europe au début du XIXème siècle et devient politique incarnant les défiances à toutes les dynasties ancestrales pour porter les aspirations démocratiques des peuples.
La page romantique semble se tourner au XXème, balayée par la multiplicité des mouvements picturaux, mais la graine du romantisme ne cesse de germer à nouveau dans multiples voies explorées.
« Romantique encore » donc à travers cette nouvelle génération d’artistes présente dans cette exposition, pourtant affutée aux écoles de la raison néo-platonicienne, qui, chacun à leur manière, avec leur médium respectif, choisit à nouveau de s’abandonner aux sentiments, à la passion et à tous les adjectifs qui ont qualifié leurs ainés. Ils ne sont pas pour autant tournés vers le passé, s’inscrivent résolument dans leur époque et nous (ré) ouvrent la boite de pandore de nos émotions.
Tous à leur manière, sans se connaitre, chacun dans leur monde, parlent de cet éternel retour du romantisme dans nos vies.
Loïc Bodin
Juin 2018
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Les artistes :
Angélina Nové
Autodidacte, Angélina Nové travaille la photographie à l’ancienne. Elle a besoin du papier et de la matière pour fixer ses lumières. Ses ambiances, ses compositions prennent leurs sources dans l’imagerie du XIXe. Son univers est féminin (souvent des autoportraits), où elle convoque un double fantomatique qui gravite autour d’un corps mis en scène de façon théâtrale. Elle dit elle-même que cette image double est apparue lors du décès de son frère. Les compositions rappellent l’univers de Witkin et la peinture d’un Füssli dont les monstres surgissent de la nuit. Son travail est à fleur de peau, toujours ambiguë plein d’ésotérisme et d’érotisme.
Aude Anquetil
Jeune artiste Bruxelloise elle est la benjamine de l’exposition. Son registre est double, installations/performances et écriture. Elle est l’auteur du Manifeste du Néo-Bovarysme et s’intéresse à l’auto fiction. Elle fantasme la réalité de sa vie quotidienne en la retranscrivant sous un angle fantasque, émotionnel et érotique. Elle partage les préoccupations métaphysiques d’Emma Bovary et ses humeurs. Pour cette exposition elle propose de reconstituer son univers de travail, à savoir son lit, et de venir travailler (écrire) aux horaires de bureau de l’entreprise.
Emma Barthère
Photographe diplômée de l’école des Gobelins de Paris, elle campe un monde paradoxal et romantique en associant le nu (souvent féminin, parfois en couple) a des paysages inquiétants (friches industrielles, toits des villes). L’érotisme des courbes du corps contraste avec la froideur des formes mécaniques et des toits métalliques. Elle présente cette fois un grand triptyque mettant en scène un couple originel, Adam et Eve contemporains, perdus dans un no man’s land, un non-lieu comme elle dit, re-visitation inquiétante du mythe du paradis perdu. La notion de l’échelle (des figures humaines et des formats de ses photos) est primordiale dans son travail et nous ramène à Rousseau et au rapport de l’humanité à la nature.
Cassandre Cardiet
Artiste sensible par excellence, après des études d’arts à l’Université de Rennes, elle se nourrit de romantisme anglais teinté d’amour courtois médiéval et d’esthétiques Victoriennes. John William Waterhouse est son mentor. Adepte de la gravure, elle tire ses plaques sur du papier peint à motif (émotif ?) invoquant les multiples pop art. Mais son univers est à l’opposé de Warhol, tout empreint (emprunt ?) de la répétition des moments de la vie, de la séduction éternelle, et d’une féminité attirante, envoutante et ésotérique, pleines de charmes autant sensuels qu’ensorcelants. Elle s’intéresse à l’édition et aux livres d’artistes.
Arnaud Rochard
Jeune artiste passé par les Beaux-Arts de Quimper, exilé à Bruxelles, il s’intéresse à l’estampe et aux modes graphiques de la reproduction des images. Sa technique est mixte et plurielle et même si elle interroge parfois les modes de fabrication, on oublie la « façon » pour partir explorer par nos yeux les terres inconnues qu’il nous révèle. Son univers, très noir dans ses premiers travaux, s’éclaire récemment de couleurs. Son monde est celui du rêve, d’une nature originelle et exotique oscillant entre un Gauguin qui rêve de Tahiti et d’un Tim Burton qui convoquerait les gravures des premiers colons sur ces terres lointaines. On entend, si l’on écoute les œuvres d’Arnaud, les bêtes étranges qui s’y cachent, et on se laisse envouter par le charme d’une imagerie sortie d’un grand Atlas, poussiéreux à souhait, gainé de cuir craquelant, avec un parfum de madeleine tirée de la recherche du temps perdu.