Pensée comme une déambulation urbaine, l’exposition URBA/GRAPHIES invite le visiteur à découvrir des vues d’architectures, lieux d’habitation et éléments urbains extraits de leur contexte habituel, objets et motifs existants dans les villes et pourtant familiers à chacun d’entre nous.
Martinet & Texereau travaillent principalement le dessin. Depuis 2008, année où elles ont obtenu en duo le diplôme à l’École Supérieure d’Arts Décoratifs de Paris, elles travaillent ensemble. En défiant le lieu commun qui voudrait l’art comme l’expression d’une personnalité, elles inventent une œuvre où les egos s’effacent. Une démarche qui relève du partage et du respect mutuel. Dans leurs dessins réalisés à quatre mains, elles ne cherchent ni à confronter ni à faire dialoguer les deux écritures : elles en créent une nouvelle. D’une précision clinique et en même temps sensible, leurs œuvres créent un nouveau répertoire de formes, objets et lieux (souvent traités en série). Le protocole de création est simple : chaque dessin commence par une déambulation urbaine où les artistes prennent des photos, en étudiant les points de vue, les lumières et les détails du cadrage. Quand le visuel a été choisi, il sera reproduit à quatre mains, au criterium (moyen qui contraint le geste artistique), sur une feuille qui fait des allers/retours entre les deux artistes. Urba/graphies – Etranges atmosphères est une exposition qui traite de la présence absente de l’humanité dans ses constructions contemporaines.
TROIS QUESTIONS AUX ARTISTES
L’art est communément défini comme l’expression de la singularité d’une personnalité. Depuis 2008 vous travaillez en duo, en suivant un protocole établit en en développant une écriture commune. Pouvez-vous nous parler de ce choix et de votre mode opératoire ?
Notre collaboration est née, il y a plus de dix ans. Nous étions alors toutes les deux étudiantes aux Arts Déco à Paris dans la même section « images imprimées ». À cette époque, nous ignorions que nos premières réponses à de simples sujets scolaires marqueraient le point de départ de notre parcours artistique. D’emblée, notre approche a été perçue comme surprenante et ambitieuse car nous ne souhaitions pas simplement établir un dialogue entre deux écritures mais bien en créer une nouvelle qui nous soit commune. Aujourd’hui, nous revendiquons toujours une volonté de partage rendue possible par un abandon réciproque de nos « ego ». C’est pour nous une manière de désacraliser le rapport de « paternité » habituellement entretenu entre un dessinateur et sa production. Cette approche nous a amené bien sûr à revisiter le processus de création, avec ses incidences sur le statut de l’œuvre et sur notre propre posture d’auteurs. Elle nous a conduit aussi à nous interroger sur la nature et le périmètre d’une répartition des tâches de chacune. Pour cela, nous échangeons sans cesse sur ce qui doit présider à l’émergence de nos thématiques et de nos choix esthétiques. Si notre méthode de travail a été patiemment élaborée, le medium pouvant utilement servir notre travail s’est révélé, lui, très tôt, comme une évidence. Dès les premiers pas de notre collaboration, c’est un simple porte mine type « Critérium » qui est devenu notre outil de prédilection. La permanence de sa matière et sa mobilisation aisée nous permettent de valoriser à l’envi une certaine monochromie où s’interpellent différentes nuances de gris. Quoique très rudimentaire, cet outil nous engage également à solliciter de manière constante nos techniques et nos gestes, ceux susceptibles de traduire toute la richesse des expressions attendues. Pour être encore plus précises, notre travail s’articule autour de différentes étapes. La première s’attache à collecter des prises de vue avec bien sûr une intention même si cette dernière est loin d’être cernée finement. Ensuite, nous opérons des choix en classant nos images par séries. Lorsqu’une photo s’impose à nous en ce que nous pressentons qu’elle pourrait donner prétexte à un dessin, nous réalisons sa structure. Par la suite, comme nous l’avons dit, c’est une succession de « couches » de gris qui va faire émerger le dessin. Nous fonctionnons par zone, par matière et par contraste. Deux productions étant toujours en cours, nous échangeons nos dessins et l’une enrichit le travail de l’autre. Ces allers retours ne suivent pas de règles établies. Ils ne sont pas planifiés. Le dessin est considéré comme achevé lorsque d’un commun accord nous jugeons que nous sommes parvenues à rendre visible et sensible ce que nous espérions.
Vous avez pensé l’exposition URBA/GRAPHIES comme une déambulation urbaine. Comment est né votre intérêt pour les sujets d’architecture et les espaces d’habitation collectifs ?
Depuis nos débuts, notre volonté de représenter des réalisations architecturales et des objets anodins ne s’est jamais démentie et s’inscrit dans la thématique plus générale qui veut valoriser le quotidien. Aujourd’hui notre œil est toujours aux aguets, à l’affût d’une nouvelle perspective, d’une façade oubliée, d’un marbre endormi, d’une ombre portée, d’un éclat de soleil, d’un décor incongru, d’une lumière vieillissante, … Nous évoluons tous dans un type d’environnement relativement standardisé, nous habitons souvent dans ces maisons ou ces immeubles qui structurent notre espace vital… et pourtant nous ne prenons que rarement le temps de nous arrêter pour les voir vraiment. A travers cette exposition nous souhaitons recomposer une balade dans une ville fictive, en juxtaposant différents éléments tous issus de nos différentes déambulations urbaines. Certaines architectures présentées dans l’exposition sont singulières voire emblématiques, comme l’ensemble « Renaudie » d’Ivry sur Seine ou les « Horizons » à Rennes. Mises côte à côte et mêlées à d’autres éléments de mobiliers urbains, ces architectures dialoguent pour créer un paysage à la fois inédit et familier.... Il ne s’agit pas pour nous de dresser un simple catalogue de représentations ou un inventaire méthodique du quotidien… Ici, la structure architecturale du bâtiment doit prendre vie dans une rencontre avec l’intimité de l’observateur. Nous souhaitons modestement participer d’un « éveil » à la sensibilité de nos contemporains.
Pourquoi vous intéressez-vous à l’ordinaire et au quotidien ?
A l’origine, c’était vraiment le dessin qui était le prétexte à notre collaboration. On pourrait dire que le sujet était alors presque accessoire. Ce n’est qu’au fil des années, que la thématique du quotidien s’est affirmée et que nous avons mobilisé le dessin à son service. À la réflexion, le fait de travailler en duo n’est probablement pas anodin pour notre intérêt pour le quotidien. En effet, en ayant grandi et en évoluant toujours dans des environnements similaires ce sont deux regards qu’il a été aisé de partager. Très vite, nous avons compris que les possibilités que nous offrait cet objet d’étude étaient immenses et nous aimions l’idée que nous pouvions explorer toutes ces pistes en ne convoquant qu’un medium tout simple et accessible à tous. Le rapport à notre propre quotidien est transformé à la fois par notre fascination à l’observer et notre acharnement à le représenter. Mais au-delà de notre sphère privée, nous souhaiterions accrocher le regard de nos contemporains à ce quotidien devenu invisible. C’est notre volonté de faire partager notre présence au monde qui nous conduit à explorer, à observer, à interroger le familier, l’habituel, le banal, l’allant de soi… Le champ du monde quotidien est d’évidence si varié, si étendu… Il paraît assez vain de tenter d’en avoir une compréhension entière à travers ses multiples actes, constructions ou réalisations. Pour autant, nous persévérons dans notre volonté de porter un regard plus valorisant à notre environnement architectural et au monde des objets.
Pauline Martinet & Zoé Texereau