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Isabelle Vaillant vit en Bretagne. Sa pratique est multiforme (installations plastiques, photographies, dessins, vidéos, performances), son support privilégié reste la photographie, qu’elle mêle à ses performances et installations.  

Isabelle Vaillant a été conviée à porter son regard sur le territoire de ViaSilva pour l’intérêt qu’elle porte aux personnes. Peu d’humain jusqu’ici dans les images des artistes qui l’ont précédé sur ce chantier à ciel ouvert. L’arrivée du métro et des nouveaux et nouvelles habitant·es ouvrent de nouveaux horizons visuels. Ses centres d’intérêt oscillent entre les corps, parfois clinique, l’enfance, la solitude, son lien à une nature charnelle, mais inquiétante. C’est une artiste de l’intime, de l’intérieur, du secret. Ses images sont pleines de contraste sourd, un mélange de fiction réaliste ou de reportages oniriques.

« Isabelle Vaillant s’est emparée de la photographie il y a plus de 20 ans de la même façon qu’elle s’était déjà emparée depuis toujours, de crayons, de fusains, d’encres, de stylos, de papiers, de carnets griffonnés, comme elle continue de le faire aujourd’hui, dans l’intimité d’un quotidien perpétuellement questionné. Ancrée dans une perception extrêmement sensible du réel, elle n’a de cesse en effet d’en dégager sa substantifique moelle, poétique, obscure, lumineuse, ésotérique à travers le mot, le dessin, le trait... L’appareil photographique viendra poursuivre cette quête et devient alors un outil de plus pour retranscrire son monde, pour faire la nique au temps qui passe, comme une possibilité de plus de transfigurer sa réalité. Alors, elle se lance comme on plonge, sans savoir nager et photographie comme elle respire, sans cesse, intuitive, animale jusqu’à la prédation ». Gilou Le Gruiec, Janvier 2023

Interview d'Isabelle Vaillant

1.Peux-tu te présenter ?

Je suis photographe, mais pas que. J’ai une pratique multiforme. Je dessine. J’écris. Je mets en scène. Je développe également un spectacle pour enfant.

2.Comment as-tu envisagé ton arrivée à Via Silva ?

Lorsque je suis arrivée à Via Silva, je me suis raconté une histoire. J’ai abordé la résidence en me laissant guider sans me documenter sur les éditions précédentes.


Pour ce projet, j’ai longtemps déambulé dans le quartier. J’ai été attirée par les chantiers notamment par ce que j’ai appelé « le monde du dessous » c’est-à-dire les sous-sols. En arrivant, j’ai essayé de me mettre à la place du territoire et de l’incarner (la terre, les arbres, les habitant.e.s). J’ai vraiment essayé de sentir la mémoire du lieu. En allant sur les chantiers et particulièrement dans les sous-sols, j’ai retrouvé une ambiance très particulière. J’avais vraiment le sentiment d’être dans le « ventre de la terre ». D’ailleurs d’après mes recherches, il parait que la terre - une fois qu’on est à 10 mètres de profondeur- est la même que celle d’il y a plusieurs années. Lorsque j’étais dans les sous-sols, j’avais l’impression d’être dans un autre monde. Un monde habité par des mémoires et des esprits. C’était fascinant.


Je laisse les images venir à moi. Cela peut paraitre étrange, mais je me laisse emporter par des visions, des perceptions, des sensations. Lorsque j’ai découvert et parcouru les souterrains du chantier, j’ai commencé par ressentir les vibrations du sol. Je me suis mise à la place de la terre. C’était comme si, tout d’un coup, j’incarnais cette terre à en devenir, que je pouvais la comprendre, la saisir. J’avais cette étrange impression d’être moi aussi renversée, creusée, retournée. Finalement, j’ai pris conscience que les habitants avaient toujours connu cette matière, cette terre et qu’il s’agissait du commencement, ce vers quoi je devais tendre.


C’est étrange, car initialement j’avais pour idée de me focaliser sur l’être humain et pas spécialement à l’architecture et aux matières. Finalement, la nature m’a trouvée et est venue à moi. J’ai été saisie par ces paysages qui sont en transformation, en mutation. J’ai abordé la terre comme si elle était presque humaine, ou en tout cas comme si elle avait une identité, une histoire. Il s’agit pour moi de percevoir l’histoire de l’humanité à travers la terre.

3.Dans tes photographies, on compte beaucoup de portraits. Comme tu peux l’expliquer ?

Comme je le disais, mon travail a commencé par un regard sur le monde intérieur. Lorsque j’ai pris conscience de l’importance de la terre, et cela a transformé la vision des portraits que j’avais précédemment réalisés et qui n’étaient pas initialement reliés à ce monde sous-terrain. J’ai compris que les personnes que je pouvais rencontrer avaient en eux la mémoire d’un secret, d’une connaissance dont ils n’avaient peut-être pas conscience. Nous portons tous en nous, une bribe de l’histoire de l’humanité, un secret, de quelque chose que l’on pressent. Il suffit de s’écouter, de se découvrir, de se chercher.

J’ai donc dit aux personnes que je rencontrais que je pensais qu’ils avaient quelque chose à raconter, qu’ils savaient quelque chose même s’ils n’en avaient pas conscience. Je voulais qu’ils travaillent sur ce savoir, notamment sur ce quelque chose qui serait relié à ce monde du dessous et qu’ils portent en eux. Pour certains portraits, j’ai souhaité que les individus aient une attitude figée.